Inside The Haus: Lucas Buick, CEO et co-fondateur, Hipstamatic
Lucas, quel est ton parcours professionnel avant Hipstamatic?
J’ai fréquenté une école d’art où j’ai rencontré Ryan, co-fondateur d’Hipstamatic; nous avons dirigé notre propre studio de design de 2006 à 2009. En 2008, un bon nombre de nos plus gros clients ont cessé de payer leurs factures et c’est à ce moment-là que nous avons décidé de lancer notre propre business. Nous avons d’abord pensé à lancer un label de vin, en ré-étiquetant un vin existant. L’autre option était de créer des softwares pour téléphones portables. Pour travailler dans le vin, il faut d’abord connaître des gens qui travaillent dans le vin – nous ne connaissions personne.
Deuxièmement, il faut de l’argent – nous n’avions pas d’argent. Donc, en 2009, Ryan et moi avons commencé à analyser ce qui était envisageable au niveau des applications pour téléphones portables. J’avais quelques apps photos sur mon portable dont certaines qui n’étaient pas trop mauvaises pour cette époque. Nous avions aussi un vieux Polaroïd SX70 et à chaque fois que quelqu’un venait dans notre studio, on prenait un portrait que l’on collait sur le mur. C’est en pensant à cela, aux choses que nous aimions faire avec ce genre d’appareils que nous avons compris que nous aimions le fait qu’il ne fallait pas réfléchir. Juste presser sur un bouton et l’appareil faisait le reste. Tu obtenais ce que tu obtenais, des clichés éphémères, temporaires mais cela n’avait pas d’importance car en même temps, cela devenait de l’art. Nous voulions recréer cette sensation.
Comment vous est venu l’idée des premiers éléments de Hipstamatic?
Le set original des filtres (films, objectifs et flashes) de Hipstamatic est en fait à la base ma librairie personnelle d’une carrière de 10 ans à passer à retoucher des photos, en tant que directeur artistique d’un magazine de mode. Ryan l’a encodée de telle manière à ce que le boulot qui me prenait des heures soit réalisé en quelques secondes, juste en appuyant sur un petit bouton jaune.
Quelles ont été les réactions quand vous avez lancé l’application?
Nous avons sorti l’app en décembre 2009; le premier jour, je crois nous avons vendu 10 copies à des amis. Mais le deuxième jour, nous en avons vendu 100, et celui d’après 500 et encore 1.000 le jour suivant… Tout d’un coup, nous avions plein de gens qui l’utilisaient. Nous sommes devenus numéro 1 au Japon en 36 heures – c’était la folie ! J’ai donc appelé mes amis designers et je leur ai dit: "Je suis devenu célèbre au Japon!".
Lors du Nouvel An 2010, Apple a mis en avant Hipstamatic et tout d’un coup, nous avions encore plus d’utilisateurs, quelque chose comme 10 ou 20.000 personnes. En voyant autant de chouettes photos, nous avons voulu créer une communauté. Nous avons donc lancé un concours photo, en utilisant les services de Flickr; il fallait juste uploader sa photo sur Flickr et obtenir des votes que l’on communiquait ensuite via Twitter. La communauté a commencé à s’agrandir – plus encore que lors de la promotion par Apple; nous avions donc un incroyable réseau de personnes. Nous avons engagé Aravind immédiatement qui était déjà à la base du design de l’application.
Nous avons refusé un gros projet pour travailler sur Hipstamatic et au moment de la sortie de l’application, nous avions $1.83 sur notre compte en banque. Soudain, ce n’était plus un souci – je crois que nous avons dépensé 300$ au total pour créer Hipstamatic. Nous avons demandé de l’aide à tous les amis créatifs qui bossaient dans différentes entreprises. A cette époque, beaucoup de ces amis étaient payés en bières…
Vous n’étiez donc que deux au départ pour lancer Hipstamatic?
Oui, je m’occupais du design et des effets pendant que Ryan apprenait à les encoder pour Apple. Nous avons réécris le code, et puisque nous étions numéro un au Japon, nous avons lancé le Shibuya HipstaPak, en hommage à notre nouveau public. Apple a approuvé l’update de Hipstamatic juste avant Noel mais ils ont fermé l’App Store sans approuver le Shibuya HipstaPak. Il était visible dans l’application mais les gens ne pouvaient pas l’acheter; nous avons eu beaucoup d’utilisateurs très en colère pendant la période des fêtes.
Hipstamatic, c’est un peu comme une rock star dont nous sommes les managers. Nous la regardons simplement grandir. C’est intéressant de voir ce que la communauté des utilisateurs réalise avec Hipstamatic. Je sais techniquement comment cela marche mais aujourd’hui encore, en regardant les photos prises par les utilisateurs, je n’arrive pas à comprendre comment ils font. Notre public réalise des choses incroyables et cela nous inspire à aller encore plus loin.
Personnellement, j’utilise Hipstamatic tous les jours, mais plus les premiers éléments. J’ai grandi avec John S et quelques autres filtres mais actuellement, je me concentre sur les nouveaux films noir et blanc. J’adore ce type de films et c’est sans doute la raison pour laquelle il y a beaucoup de noir et blanc dans Hipstamatic.
J’ai personnellement acheté Hipstamatic à cause du site web de l’époque; j’ai adoré le style, la façon dont chaque pak était présenté…
Nous avons développé le premier site d’Hipstamatic en quelques jours. Nous avons mis sur ce site tout ce que nous faisions, tout le travail au niveau du design des paks, du rendu des objectifs,... Tous ces détails ont été d’abord pensés au niveau du design avant d’être encodés techniquement parlant. Cela a toujours été une histoire de look & feel. La façon de ressentir les choses était plus importante que les résultats. Ce que j’adorais au début avec Hisptamatic, c’était le bruit du flash. Il me rappelait ce que c’était de prendre des photos avec un vrai appareil. Quelqu’un qui a 21 ans aujourd’hui ne sait pas ce que ce son signifie.
C’est après quatre jours que je me suis rendu compte que, pour la première fois dans ma carrière professionnelle, je m’amusais et qu’en même temps, nous gagnions vraiment de l’argent. À l’origine, nous avons réalisé l’app pour nous-mêmes, pour notre propre plaisir. Nous avons pensé qu’il n’y aurait qu’une centaine de 'nerdy people' comme nous pour l’apprécier mais en voyant les premières réactions de la communauté et en lisant les premières réactions, cela a changé. "J’adore l’app, j’adore les effets mais je déteste le nom". Parce qu’il y avait le mot Hipster dedans. Cela signifiait pour nous que nous avions atteint le public visé. C’était ça le moment crucial – nous y sommes arrivés en 4 jours.
Y aura-t-il un timer pour Hipstamatic Classic?
Le timer est une chose que nous avons considérée et qui n’est pas exclue. Il s’agit juste de voir comment nous allons l’intégrer dans Hipstamatic Classic au niveau visuel et graphique.
Il y a beaucoup de choses que les gens nous ont demandées pour Hipstamatic Classic, l’autre demande est d’utiliser la caméra de la face avant de l’iPhone mais je ne pense pas que cela arrivera un jour.
Quand Hipstamatic sort un pak, un grand nombre de personnes l’achètent directement et cette confiance nous fait plaisir. Parfois, nous essayons de revenir en arrière et de modifier certains éléments. Nous voyons alors que certaines personnes commencent à les utiliser d’avantage parce que les photos sont nettement meilleures. Par exemple, les photos réalisées avec Jimmy étaient souvent floues, ce qui était voulu au départ mais avec la sortie de l’iPhone 4, tout d’un coup, Jimmy ne brouillait plus les images et les gens ont alors commencé à l’employer de plus en plus. Nous avons donc modifié l’objectif pour l’adapter au changement du hardware.
Y aura t-il un nouveau flash pour Hipstamatic Classic?
La dernière fois que nous avons vraiment pris du temps pour développer un nouveau flash, c’était pour Jolly Rainbo 2X. Le problème est le développement de ce type d’élément car un flash délave souvent l’image. Nous avons conçu Jolly Rainbo 2X à la base pour fonctionner comme un vrai flash mais si on l’utilise sans qu’il ne produise un flash, l’image est assombrie. Il y a d’autres choses intéressantes à explorer dans ce domaine; nous ne l’avons pas encore fait, peut-être devrions-nous le faire.
En parlant d’exploration, Oggl est une fameuse nouvelle aventure…
Le lancement de Oggl a marqué un tournant pour nous parce qu’il signifie un changement de règles pour tout le monde. Je pense qu’il est en fait une transition intéressante pour certains utilisateurs d’Hipstamatic; ils pourront réaliser les mêmes choses mais différemment. Je pense que tout compte fait, c’est un meilleur produit, une application plus performante.
L’une des choses que je trouve les plus excitantes aujourd’hui est de collaborer avec une compagnie comme Nokia car nous travaillons avec un appareil de 41 megapixel. Le principal challenge est de comprendre comment développer les effets et les différents filtres sur ce type de hardware. N’oublions pas qu’à l’origine de Hipstamatic, nous ajoutions des flous et des textures pour cacher le manque de qualité des photos.
Mais vous n’allez pas abandonner Hipstamatic Classic?
Absolument pas! Oggl est une expérience différente que nous apprécions vraiment mais Hipstamatic Classic aura toujours une place importante dans nos coeurs, ainsi que tout ce qu’en fait la communauté. L’aventure Hisptamatic Classic continuera de plus belle.
Certains fans de Hipstamatic sont vraiment amoureux de la version Classic et pensent qu’utiliser Oggl, c’est un peu comme tricher.
C’est bien de la triche – nous sommes tout à fait d’accord. Prendre des photos avec Classic a quelque chose de magique. Vous savez que vous n’avez qu’une chance et qu’il est impossible de tricher.
Ce qui nous appris tellement de temps pour intégrer le concept de la version Classic dans Oggl, c’est que nous voulions être vraiment certains que toutes les données d’Hipstamatic soient bien importées, afin de pouvoir créditer chaque photo. Une photo peut être identifiée comme prise avec Hisptamatic Classic ou avec Oggl.
Qu’est ce qui vous a amené à développer Oggl?
Nous voulions réinventer quelque chose de plus en phase avec la façon spontanée de prendre des photos avec un mobile. En 2011, nous avons commencé à changer notre façon de construire les Hipsta Paks, à commencer par le Foodie SnapPak pour lequel nous avons travaillé avec David Loftus. Le travail professionnel de David est absolument magnifique, mais avec Hipstamatic, il utilisait tout le temps le Shibuya HipstaPak en combinaison avec des flashs bizarres; la nourriture et les plats qu’il photographiait ressortaient en bleu et vert. Je me suis dit "Ok, bon… Si David utilise Hipstamatic comme cela, s’il continue à prendre des plats en photo et si tout le monde aime photographier un plat ou un café, faisons quelque chose qui permet de faire des photos magnifiques".
Ce fut un grand changement pour nous car il ne s’agissait plus de recréer des pellicules vintage. Nous ne devions plus nous inspirer des années ‘60 et ‘70 mais aller de l’avant. Ce fut alors le début d'une nouvelle perception des habitudes des gens. On s’est dit: "Ok, si vous voulez prendre votre bouffe en photo, très bien… on vous prépare donc un preset dédié à la bouffe". Mais en même temps la communauté Hipstamatic a réagi en disant "Je vais créer ma propre touche en combinant tel objectif et tel film". C’est donc très personnel.
Les utilisateurs d’Oggl sont différents de ceux d’Hipstamatic Classic et sont un peu plus jeunes. Nous souhaitions conserver l’héritage Hipstamatic, qui est une référence en photo analogique, mais en lui apportant un nouveau look. On se moque de savoir à quoi servent les photos, notre job est d’aider les gens à prendre de belles photos. Nous faisons tout cela pour amener une nouvelle génération à la photographie.
Pourquoi n’avez vous pas créé une nouvelle application en mixant les atouts d’Hipstamatic et de Oggl?
Il y a tellement d'amoureux d’Hipstamatic que nous nous devions de ne rien changer. Nous aimons la communauté Hipstamatic… et puis, si nous l’avions fait, des photographes mécontents nous auraient attendus à la sortie des bureaux…
Hipstamatic ne changera pas, il a toujours été prévu pour ressembler à un appareil photo en plastique. Il y a même un moment où nous étions littéralement obsédés par cela, où nous avons par exemple discuté des heures de la taille de l’objectif. Quand nous avons conçu Hipstamatic, nous voulions changer la façon qu’avaient les gens de prendre des photos.
Si tu te souviens bien, quand tu étais enfant, tu mettais ton appareil devant le visage et tu prenais cette pose (NDLR: Lucas nous montre la pose). C’est ce qu’on a cherché à faire avec Hipstamatic et on y est arrivé car nous étions capable de dire que quelqu'un prenait sa photo avec notre appli rien qu’en regardant la façon dont il prenait une photo. Nous y avons beaucoup réfléchi.
Notre but, c’était que les gens soient surpris du résultat, qu’ils ne s’attendent pas complètement à ce qu’ils vont avoir comme résultat. C’est devenu très important dans Hipstamatic Classic et ce genre de concept romantique et nostalgique ne changera jamais. Oggl est une plateforme qui nous permet de voir les choses un peu différemment mais la façon de prendre les photos reste celle d’Hipstamatic.
La dernière mise à jour de Oggl a causé un certain émoi. Avez-vous été surpris par les types de réactions?
Je ne suis pas surpris du tout. Nous avons une communauté très passionnée qui n'a jamais eu peur d'exprimer clairement leurs sentiments avec nous. Les fonctionnalités que nous avons ajoutées à Oggl sont très différentes philosophiquement parlant de la philosophie de Hipstamatic Classic depuis ces 4 dernières années. Il est important de comprendre que même si Oggl partage le même ADN que Hipstamatic Classic, ce sont deux produits différents. Oggl est un produit qui est beaucoup plus "ouvert" que la version classique de Hipstamatic, et donc pour nous, nous avons de nouvelles responsabilités. Par exemple, celle de protéger notre communauté contre les voleurs et la violation flagrante des droits d'auteur. En même temps, il est encore plus important pour nous de ne pas limiter l'expression de chacun et de la créativité. Voici l'un des plus grands défis que nous avons devant nous.
Quels seront les axes du développement de Oggl dans le futur?
Notre objectif est de faire Oggl un lieu où les gens peuvent trouver de l'inspiration chez d'autres photographes talentueux. Même si Oggl possède de nombreuses caractéristiques dites "sociales", il ne deviendra pas un réseau social à proprement dit, il ne remplacera pas la communication en temps réel via la photographie. Oggl est plutôt une collection d'images intemporelles. Au cours des prochaines semaines, nous proposerons un certain nombre d'outils pour aider les gens à partager leur amour de la photo, ainsi que d'autres outils qui nous pousseront tous à prendre plus de photos.
Au fait, quel est votre combo, objectif, film et flash préféré?
Mon set favori du moment, que j’appelle "The Old Chap" (Le vieux Gaillard), est le nouveau BlacKeys Extra Fine avec l’objectif Madalena. Je ne prends presque que des photos en noir et blanc; tout mes combos préférés sont des noir et blanc.
Mon objectif favori? Loftus. Mon film préféré: chaque film noir/blanc. Comme flash, j’utilise Jolly Rainbo 2X.
Hipstamatic ou Oggl?
Oggl.
Photos: Lucas Buick - [button color="black" link="http://oggl.me/lucas/"]Oggl[/button]
Prochaine rencorntre: Ryan Dorshorst
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