Inside The Haus: Aravind Kaimal – Creative Director, Hipstamatic
Aravind, tu as parcouru un long chemin géographiquement parlant, de quelle manière t'es-tu retrouvé chez Hipstamatic?
J’ai grandi en Inde jusqu’à l’âge de 17 ans et me suis installé aux Etats-Unis par la suite. Les seules choses que j’aimais étant plus jeune étaient le dessin et la création en général. Tintin a été l’une des sources d’inspiration qui m’ont emmenées à m’intéresser au domaine de l’art. J’avais l’habitude de m’asseoir, réaliser des esquisses et dessiner toutes sortes de choses. J’aimais la perfection qu’Hergé manifestait dans les petits, voire les micros détails. Mes parents ont très vite compris que je ne deviendrai jamais un ingénieur ou un médecin. Ils me disaient en gros: "Poursuis ton objectif et atteins-le, va jusqu’au bout". J’ai fait mes études au Columbia College de Chicago, IL, une petite école d’art et j’ai obtenu mon diplôme en 2004. Je suis venu ici sans avoir de véritable plan. Je voulais faire une école d’art mais je ne savais alors pas si j’allais retourner en Inde ou rester aux Etats-Unis. Les choses se sont mises en place les unes après les autres. J’ai juste commencé à travailler et sans planifier quoi que ce soit, je suis finalement resté. J’ai rencontré Lucas lors de mon premier job et le courant est directement passé entre nous.
Peux-tu nous dire en quoi consiste ton travail en tant que directeur de création?
Il n’y a pas de canevas précis concernant la façon dont nous travaillons, nous nous jetons simplement dans le vif du sujet. Chaque membre de l’équipe provient d’une école d’art ou possède un background lié à la création. Contrairement aux gars de la Silicone Valley Tech, nous venons du milieu de la publicité et avons intégré celui de la technologie. En règle générale, les choses se passent ainsi: l’un d’entre nous esquisse un projet, propose une idée, et nous essayons de déterminer la façon dont nous pouvons la concrétiser. Nous scindons le projet en question, essayons d’évaluer la part de programmation informatique, réfléchissons aux types de logiciels dont nous aurons besoin pour la conception, etc.
Au départ, lorsque le concept d’Hipstamatic est né, Lucas est venu me voir et m’a demandé si nous pouvions donner corps à cette idée. C’était en 2009 et je venais tout juste d’apprendre à manier des logiciels 3D. Mais j’étais certain que nous allions nous amuser. Les choses sont allées très vite. Je travaillais sur ce projet dans les locaux de l’agence de conception dans laquelle j’étais employé. Alors que je m’affairais à la production de toutes ces lentilles entre autres, il me vint à l’idée de baptiser l’une d’entre elles du nom de mon père. C’est ainsi que la lentille "Kaimal Mark II" vit le jour. Nous recherchions des noms adéquats puis nous nous lancions simplement dans la production. Nous savions que cette application était une merveille mais nous étions loin de nous douter qu’elle aurait une renommée significative dès décembre 2009.
D’où vous viennent les idées pour de nouveaux paks et comment procédez-vous pour les créer?
Normalement nous nous essayons de nous inspirer de domaines majeurs tels que la musique, le design et de la mode et nous travaillons alors avec le designer, ou la personne la plus représentative du domaine en question, pour rendre le pak le plus pertinent pour la communauté ciblée. C’est un processus méditatif: tu es assis à ton bureau, tu regardes ton écran toute la journée et puis en revenant le lendemain matin, tu te dis "ok, il a quelques petits changements à faire", et ça pendant une semaine environ… tu t’assoies, tu reviens et regardes à nouveau, et ça prend forme.
Vous parlez souvent de "filtres", que signifie ce terme?
Un filtre, dans le monde de Hipstamatic, c’est un objectif, un film ou un flash. Je suis chargé de l’effet en lui-même, mais aussi des boîtiers, de tout l’habillage et de la structure. Toute l’interface utilisateur est totalement le fruit de mon travail, car je suis passé par l’apprentissage difficile de la 3D et ce depuis le tout début de l’aventure. Ce sera donc toujours mon affaire, c’est mon expertise.
Il y a cette expression que nous utilisons depuis longtemps, Lucas et moi-même et ce bien avant le démarrage d’Hipstamatic: le "retrofying". Ça revient en fait à travailler une image car lorsque nous étions dans le milieu de la pub, quoi que nous fassions, nous ne laissions jamais une image telle qu’elle était à la sortie de l’appareil photo: nous voulions qu’elle ait l’air nostalgique, nous voulions que les couleurs aient l’air passées. En fait, l’app a toujours existé dans nos têtes. L’ère digitale s’est débarrassée de ces petits défauts, et tout est devenu si net, si précis et parfait. Nous avons toujours été contre cela et nous avons toujours voulu revenir à la bonne époque du nostalgique. Tout ceci devait arriver.
Au fait, vous travaillez sur le pak d'octobre actuellement?
(ndlr: éclats de rire d’Aravind et Molli. Molli est la responsable des relations publiques d’Hipstamatic et bien sûr, elle savait que j’essayerai d’obtenir des infos privées et confidentielles… mais j’ai échoué, elle a fait son job ;-)
Oui, nous travaillons sur ce pak actuellement et je peux vous assurer qu’il s’agira d’une "masterpiece"!
Au début, quand Lucas vous a proposé de bosser sur Hipstamatic, avez-vous eu le sentiment que quelque chose d’important allait se passer?
Je l'ai rencontré lors de mon premier emploi après la fin de mes études; nous avons changé de jobs et de postes à plusieurs reprises mais une fois, il a dit: "je vais développer mes propres designs" et (avec Ryan) il a créé sa propre société "Synthetic Infatuation". De mon côté, j'ai continué à travailler pour des entreprises. Parfois, nous nous disions que je devrais les rejoindre mais à l'époque, j’étais plutôt du style à préférer une certaine sécurité. De temps en temps, je leur donnais un coup de main: on se réunissait autour d'un projet le temps d'un week-end ou j'allais dans leur studio pour dessiner des trucs avec eux.
En 2009, quand il a commencé à me parler d'un nouveau projet, je me suis dit: "oh, encore un nouveau projet assez amusant, nous allons le lancer mais cela ne changera pas grand chose au niveau professionnel." En décembre, le projet a commencé à décoller. Il m'a appelé en me disant "Hey mec, aujourd’hui, on a gagné $10". Puis ce fut $100, puis en décembre, ce fut $1000 par jour. Il m’a alors dit: "Aravind, tu dois démissionner" et je lui ai répondu "J'arrive!"
Qui choisit le nom et le look & feel de chaque pak?
C'est une collaboration entre Lucas, Ryan et moi. Ryan est très bon pour trouver des noms… Par exemple, pour le pak "Sao Paulo", l’idée de départ était le Brésil. Je suis un fan du travail de Nando Costa et ses créations ont une influence énorme aux USA. Nous nous sommes dit que nous n'avions pas encore complètement pris en compte tout le potentiel de l'Amérique Latine et qu'il fallait que nous fassions quelque chose sur le sujet.
Même chose pour "Long Island" car étant fans du style du "big Gatsby" et du mouvement Art Deco en général, nous voulions produire quelque chose autour de cela.
Mis à part Blanko Freedom13, BlacKeys Extra Fine est le premier film sans le moindre cadre. Est-ce un signe pour les prochaines sorties?
Nous allons alterner les films régulièrement mais nous voulons en sortir quelques uns sans la moindre bordure. Ce qui ne veut pas dire que nous arrêtons les cadres à tout jamais. Nous avons déjà beaucoup de films avec des bordures et dans le domaine des réseaux sociaux, il est important de donner de l’importance à l’image elle-même.
Cependant nous continuerons de proposer des cadres. C'est notre identité. Quand nous avons sorti Blanko Freedom13, il n'y avait pas de bordures mais nous avons ajouté les trois petites bandes colorées en bas à droite. A l'époque, nous avions compris qu'il fallait qu'on établisse notre marque de fabrique afin que le public puisse nous identifier. De nos jours, je pense que nous sommes suffisamment reconnaissables et quand nous produisons un nouveau filtre sans bordures, les gens savent et se disent "Ok, c'est évident qu'il s'agit d'un filtre Hisptamatic". Maintenant il y a des centaines d'applications qui cherchent à imiter notre style mais nos fans nous connaissent bien et restent fidèles! Nous en sommes très reconnaissants!
Tirez-vous l’inspiration pour les nouveaux paks des photos que vous voyez sur le web?
Comme je le disais, c’est toute la nostalgie d’avoir grandi dans les années ‘80. C’était l’époque où vous feuilletiez les albums photos de famille, la tête remplie de ces imperfections, de cette chaleur et de cette profondeur qu'avait le film. Quiconque dit "je suis né en 1995" n'a aucune idée de tout cela, de cette richesse que nous avions. Au début de la révolution numérique, nous avons été frustrés de voir que les effets vintage étaient dépassés. Mais cela a changé et le passé reste donc une source d’inspiration.
Quels sont votre objectif, film, flash et combo préférés?
Le flash Standard est sans aucun doute mon préféré mais pour être honnête je n'utilise pas beaucoup le flash. Cela dit, la première fois que j’ai vu les possibilités offertes par le flash, c’est quand vous avez publié l’incroyable série sur Madalena et Robusta ("Flashes sur Sao Paulo"). Je me suis dit "comment se fait-il que je ne connaisse pas cela?" Personne chez Hipstamatic ne peut prendre des photos comme l’ont fait ces photographes. J’apprends vraiment beaucoup de choses en voyant le travail de tous ces talents, que cela soit via Hipstamatic ou Oggl.
Mon objectif préféré est le Tinto que je considère comme mon bébé; nous sommes passés par tellement d’épreuves pour parvenir à un tel résultat. De même, le D-Type Plate est mon chouchou car le processus fut une vraie exploration du procédé; nous voulions rester le plus fidèle que possible au concept du film TinType. Ryan a été la pièce maîtresse de ce travail. Sans lui, le pak n’aurait jamais vu le jour. J’ai aussi été bluffé par ce que j’ai vu sur votre site, notamment un film réalisé avec le film D-type. Je n’aurais jamais été capable de réaliser cela, la somme de travail que cela représente est incroyable.
Oggl ou Hipstamatic?
Je suis passé à Oggl. J’adore Hipstamatic évidemment, je l’utilise régulièrement, surtout quand je prends le temps pour photographier. Mais parfois, dans le feu de l’action, il y a des moments où l’on a que 2 secondes pour réaliser un cliché. Là, Oggl est plus pratique. Mais je ne lâcherai jamais Hipstamatic, c’est mon bébé, j’adore le fait de changer d’étui et puis, c’est une expérience unique. C’est fun!
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Prochaine interview: Mario Estrada
© Eric Rozen - Hipstography (Aravind Kaimal)
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