Hipstamatic: trop branché pour le photojournalisme?

By on mars 2, 2013

AFP Photo/Patrick Baz

By Marlowe Hood

Patrick Baz, de l’AFP, est retourné récemment à Bagdad pour la première fois en quatre ans. Comparé à la vie qu’il y avait découverte lorsqu’il avait couvert le conflit pendant une dizaine d’années, bien des aspects de la vie quotidienne se sont améliorés.

Sauf un.

"Travailler dans les rues de la capitale irakienne est un cauchemar. On doit sortir papiers et carte de presse à tous les coins de rue, et il faut des autorisations spéciales pour le moindre truc. On ne sait jamais vraiment à qui on s'adresse, et qui est responsable de quoi."

Après l’arrestation du journaliste français Nadir Dendoune le 23 janvier pour avoir pris des photos du QG des services secrets, on trouve désormais des panneaux avec des "NO PHOTOGRAPHS" (pas de photos) un peu partout, raconte Patrick, surtout à proximité des dizaines et dizaines de barrages routiers qui quadrillent la ville. Marcher dans la rue avec son énorme objectif professionnel revenait à être marqué d’une croix rouge – cela attirait beaucoup trop l’attention, et pas de celle qu’on recherche.

AFP Photo/Patrick Baz

Patrick a fait ce qu’il a pu, puis il est passé au "Plan B".

"A Noël, j'ai reçu un iPhone 5 en cadeau, et j'ai commencé à jouer avec ses différentes applications, postant des images sur ma page Facebook. J'ai lu pas mal d'articles de presse sur l'utilisation de l'iPhone et ses applications par de nombreux collègues, et nous avons eu des débats animés sur ce sujet, entre photographes. J'avais beaucoup de réticentes à l'utiliser, de même que les applis, pour mon travail. Mais la frustration de ne pas pouvoir travailler librement dans Bagdad a fait pencher la balance."

Hipstamatic, une des app iPhone les plus populaires, offre toute une gamme d’effet s’inspirant des bobines de film (leur devise officielle est d’ailleurs: "la photo numérique n’a jamais autant ressemblé a de l’argentique"). Mais contrairement à Instagram, il faut choisir les filtres avant de prendre les photos.

"Les photographes écrivent avec la lumière, et comme je ne pouvais pas faire de même, puisque je n'avais pas la possibilité de contrôler l'ouverture de mon smartphone, j'ai décidé "d'écrire" avec l'appli Hipstamatic. Et quel que soit l’avis des gens sur mon choix, c’était sympa."

AFP Photo/Patrick Baz

Et pratique. Les photographes locaux de l’AFP prennent des photos des scènes d’attaque avec de tous petits appareils qu’ils peuvent discrètement mettre dans leur poche lorsqu’ils passent les barrages et les checkpoints. De la même manière, Patrick a pu se déplacer (et travailler) sans attirer l’attention. "Personne ne m’a remarqué".

Enfin, presque personne.

"Une des photos, prise par Sabah Arar, un de nos photographes en Irak, me montre en train de me servir de mon iPhone, alors que mes appareils pendent de mes épaules…" (Sabah a fait cette photo avec un Lumix Point-&-Shoot).

Lorsqu'un soldat a demandé à Sabah ce que je faisais, il lui a répondu: "Il prend des photos souvenir avec son téléphone portable".

AFP Photo/Sabah Arar

La décision de mettre ou non les photos Hipstamatic de Patrick à disposition des clients de l’AFP est revenue à Eric Baradat, le directeur de l’édition photo de l’AFP.

"A l’AFP, nous avons une position claire et simple: l’utilisation d’applications ou de filtres qui créent des effets artificiels sur les photos ne correspond pas à notre engagement. Nous nous devons de faire part d’une information objective, et donc ne distribuons pas ce genre d’image en ligne via notre agence de presse", nous explique Eric, qui fait référence au système de distribution pour les clients des médias qui souscrivent au service photo de l’agence. "La distorsion de la réalité engendrée par les filtres de ces apps introduisent un élément de subjectivité, et nous emporte trop loin du style de journalisme sur lequel nous avons bâti notre réputation".

En même temps, continue Eric, la plupart des photographes ont un Smartphone qu’ils utilisent comme un journal électronique. "Ils prennent des ‘notes’ sur leurs expériences de reportage, et les partagent avec leur amis et collègues sur Internet. Ces images ont trouvé leur place parmi les médias traditionnels, qui incluent maintenant aussi la publication de contenu sur des blogs ou d’autres plateformes de réseaux sociaux telles que Twitter, Facebook ou Tumblr."

AFP Photo/Patrick Baz

Le débat sur l’utilisation d’Hipstamatic ou d’Instagram dans le photojournalisme s’est embrasé en février dernier, lorsque le photographe du new York Times Damon Winter a remporté le Prix International de la Photo de l’Année pour une série de photos prises lors de son immersion dans les troupes américaines en Afghanistan. La série s’appelle "A Grunt’s Life" (la vie d’un trouffion). Ces images stylisées avaient surtout une dimension atmosphérique, mais certains étaient d’avis qu’une ligne rouge entre information et art avaient été franchie.

En novembre dernier, le Times Magazine a engagé cinq photographes pour couvrir les conséquences de l’ouragan Sandy. La controverse a repris de plus belle lorsque le magazine a publié en couverture une version rognée d’une photo qu’un des journalistes, Ben Lowy, avait prise avec Hipstamatic.

AFP Photo/Patrick Baz

Lowy s’est défendu en expliquant que le Smartphone l’avait libéré des contraintes de plus en plus techniques de sa profession. "J’ai découvert que mon Smartphone me permettait de capturer des scènes sans avoir l’impression de devoir me remettre au travail", écrit-il sur sa page Tumblr. "Le fait de pouvoir juste cliquer a été une expérience libératrice. Cela m’a permis de redécouvrir l’excitation que provoque la découverte d’imperfections et d’heureux accidents restitués par le biais de mon appareil portable."

Les textes d’information et leur évolution sont d’ailleurs soumis au même débat. Le changement (certains diront "le glissement") vers une narration à la première personne, avec des points de vue personnels (quand ce n’est pas carrément un commentaire personnel), une façon d’écrire plus stylisée... chaque camp a ses supporters et ses détracteurs.

AFP Photo/Patrick Baz

A l’AFP, Eric a finalement décidé qu’il y avait de la place pour les deux: un photojournalisme dépouillé et sans artifice, comme Patrick l’a pratiqué au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe pendant plus de vingt ans, tout autant que sa perspective personnelle et stylisée.

"Pourquoi ne pas montrer, sous forme d’une sorte de journal numérique, une Bagdad transformée dix ans après l’invasion américaine, que Patrick a aussi couverte ? Il a déjà fait son travail, et ce dernier a été envoyé à nos clients traditionnels par le biais de notre service photo."

AFP Photo/Patrick Baz

Eric a placé ces photos dans des espaces qui y sont spécialement dédiés au sein de la base de données d’images de l’AFP. "Pour l’instant tout ça est expérimental", dit-il. "C’est quelque chose qui peut marcher pour un reportage, plutôt que pour la couverture d’une information spécifique."

Patrick est d’accord sur le fait que ces deux approches doivent rester séparées: "Hipstamatic a une approche plus photographique que journalistique".

Mais une chose est certaine: le débat sur la meilleure manière d’exploiter les possibilités infinies qu’offre la technologie numérique pour illustrer l’information ne fait que commencer.

AFP Photo/Patrick Baz

(Source: http://blogs.afp.com/correspondent/?post/Hipstamatic%3A-too-hip-for-photojournalism)

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